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Saint-Laurent, Québec

 

QUI GÈRE LES IMMEUBLES À CONDOS?

(RADIO-CANADA - Émission La Facture du mardi 26 septembre 2006)


Deux problèmes majeurs affectent bon nombre des grands ensembles à condos.

 

Le premier, c’est l’égoïsme des propriétaires. Quand tout va bien, ils ne sont pas intéressés à payer des frais de condo et ils se disent que les futurs acheteurs s’occuperont de l’usure de l’immeuble à laquelle ils auront pourtant participé.

 

Le deuxième, c’est que littéralement n’importe qui peut administrer un immeuble à condos. C’est facile quand il compte 4, 6 ou 8 unités, mais s’occuper de 100 unités et plus est une tout autre histoire.
Plusieurs millions de dollars plus tard, les travaux réparation pour les problèmes d’infiltration d’eau sont enfin complétés dans l’immeuble dont il était question (dans le premier reportage). Les ennuis de Marie et de Nadia ne sont pas terminés pour autant. En effet, malgré les travaux, leurs unités subissent d’importants dégâts d’eau.

 

«L’eau montait plus haut que nos souliers, raconte Marie. On ne peut pas seulement parler d’infiltration d’eau, on parle d’inondation. Je me sentais complètement dépassée.»

 

«L’eau atteignait presque le lit, se souvient Nadia, sa voisine de palier. Il a fallu que j’enlève le tapis, que je pousse les meubles et que je siphonne l’eau jusqu’à 3 h. C’est arrivé à trois reprises.»

 

Nadia prévient rapidement l’administration de l’immeuble, des copropriétaires élus pour s’occuper de l’entretien. Leur réponse la sidère: elle reçoit une mise en demeure lui disant que tout est de sa faute!
«Nous vous tenons responsables des dommages occasionnés par l’infiltration d’eau (…) suite à votre négligence d’entretenir votre terrasse», dit le document.

 

Marie subit le même sort. Une vraie gifle. «Je m’attendais à ce qu’ils me disent: «Nous comprenons la situation. Nous informons tout de suite l’entrepreneur ou l’architecte qu’il y a des problèmes». Au lieu de ça, ils m’ont dit: «Vous êtes responsable».»

 

À qui la faute?

D’après l’administration, l’eau s’infiltre dans les appartements de Marie et de Nadia parce qu’elles ont négligé de déneiger leurs terrasses. Sauf que, selon le règlement de l’immeuble, il leur est défendu de jeter la neige par-dessus les balcons!

 

«Ce que j’ai trouvé le plus dur, c’est de sentir qu’au lieu d’être protégée par les administrateurs, je suis presque devenue leur ennemie», dit Marie. «Parce que j’ai demandé des explications.»

 

Nadia est convaincue qu’elle n’a pas commis de faute. Mais alors, qui est responsable?

 

«Les administrateurs ont-ils vérifié si les travaux ont été bien faits ou bien ont-ils payé l’entrepreneur et lui ont-ils dit: Goodbye, à l’année prochaine? se demande Nadia. «J’avoue que je suis perplexe. Je me pose des questions sur les travaux.»

 

Perte de confiance

Comme sa voisine, Marie veut prouver qu’elle n’est pas responsable. Comment faire? La réponse est venue de sa compagnie d’assurances. Selon elle, «les infiltrations d’eau résultent d’un vice de conception (…) et de construction».

 

Dans un autre rapport, l’architecte responsable des travaux admet d’ailleurs son erreur. «L’exécution de certaines membranes avait été faite de manière déficiente», écrit-il.

 

Malgré tout, l’administration ne retire pas ses mises en demeure contre Marie et Nadia. Elle fait toutefois refaire les travaux sur les terrasses.

 

«Je n’ai aucune assurance que les travaux seront bien faits cette fois-ci», souligne Marie. «Je n’ai plus confiance [en l’administration]. Quand tu es accusée, le lien de confiance n’existe plus. Alors, je me méfie de tout ce qui se fait maintenant.»

 

Une législation à revoir

Ce qui se fait maintenant, La Facture ne le sait pas, car l’administration a refusé de lui accorder une entrevue.

 

Les membres du conseil d’administration et la gestionnaire de l’immeuble sont de simples copropriétaires. Plusieurs questionnent leur compétence à gérer des travaux de 8 millions de dollars.

 

«Il aurait fallu une législation obligeant les administrateurs de condo à avoir une certaine compétence pour faire le travail», pense Marcel, un des résidents de l’immeuble. «Et il aurait fallu engager des gestionnaires de l’extérieur qui sont qualifiés pour faire ce travail. Ça n’a jamais été fait.»

 

Comment cela se passe-t-il ailleurs au Québec? Une majorité de condos ne serait pas bien gérée, selon Me Yves Joli-Cœur, avocat spécialisé en droit de la copropriété.

 

«Actuellement, c’est un peu le Far West. Ce que je préconise, c’est qu’il y ait une législation encadrant les gestionnaires professionnels pour qu’ils aient une assurance responsabilité obligatoire, un genre de carte professionnelle et un niveau de compétence, parce qu’ils gèrent des actifs importants.»

 

La loi du silence

Pour Me Joli-Cœur, il faut changer la loi afin de prévenir l’hémorragie. Mais rien ne bouge parce que tout est bloqué par une autre loi: celle du silence.

 

«Il y a actuellement des drames humains, on les constate. Mais, règle générale, personne ne veut en parler, parce que personne ne veut dévaluer sa propriété. Alors, il y a une certaine forme d’omerta en copropriété. On essaie de ne pas en parler.»

 

Selon Raymond Ouimet, du Regroupement des gestionnaires et des copropriétaires du Québec, chaque crise en copropriété laisse des séquelles. «Ces gens-là continueront à se côtoyer au cours des années. Ils devront se parler, continuer à investir ensemble. Souvent, les problèmes sont tels qu’ils ne se parlent plus, ne se regardent plus. Et ça, ce n’est pas sain pour une copropriété.»

 

Chèques en blanc

Marie aura payé 33 000 $ en 4 ans pour les travaux de réparation de l’immeuble. Un montant qui s’ajoute à ses frais de condos habituels. Aujourd’hui, elle a peur. Peur que ce ne soit pas assez.

 

«C’est le conseil d’administration qui a le pouvoir sur mon argent. Moi, je n’ai plus aucun pouvoir. C’est comme s’ils avaient des chèques en blanc. Ils peuvent signer en mon nom, parce que ce sont des travaux urgents et essentiels.»

 

Elle n’a en effet plus de pouvoir, parce que, selon la loi, c’est le conseil d’administration qui décide si les travaux sont urgents et qui augmente les cotisations spéciales.

 

La réfection majeure d’immeubles à condos se fait souvent avec une crise en toile de fond: problèmes d’argent, perte de contrôle. Tous les ingrédients pour empoisonner la vie des copropriétaires. Y a-t-il encore des avantages à vivre en condo?

 

«Présentement, je n’en vois pas beaucoup», répond Nadia.

 

«Je ne sais pas jusqu’où ça ira, parce que je sais que l’édifice vieillit de plus en plus, ajoute Marie. Qu’est-ce que ça sera après-demain? Est-ce que ça s’arrêtera? Faudra-t-il refaire l’édifice au complet pour que nous arrêtions de nous inquiéter?»

 

En conclusion

 Plusieurs demandent que la loi réglementant la copropriété soit resserrée. On suggère d’abord d’imposer l’embauche d’un gestionnaire professionnel pour les grands immeubles à condos. Il faudrait ensuite obliger les copropriétaires à investir davantage dans les fonds de prévoyance. Enfin, chaque édifice à condos devrait posséder son certificat d’immeuble, une sorte de bilan de santé indiquant aux futurs acheteurs les travaux d’entretien à venir, ce qui se fait déjà en Ontario et en France.