DES RESTRICTIONS À LA LOCATION ET DE LA DESTINATION DE L’IMMEUBLE
Me Pierre-G. Champagne, associé du cabinet De
Grandpré Joli-Coeur, s.e.n.c.
(CondoLegal.com)
OUI, LE SYNDICAT PEUT ADOPTER UN RÈGLEMENT RESTREIGNANT LA LOCATION A DES LOCATIONS D’AU MOINS UNE ANNÉE.
La notion de «destination de l’immeuble», contenue à l’article 1056 du Code civil du Québec (C.c.Q.), a fait couler beaucoup d’encre. Cette notion, en opposition constante aux intérêts purement privés et individuels des copropriétaires, soulève des difficultés d’interprétation, souvent et plus particulièrement dans les cas de location d’unités de copropriété.
Dans beaucoup d’immeubles, dont les déclarations de copropriété ne contiennent aucune disposition précise à cet égard, les administrateurs se demandent s’ils ont le droit d’imposer des restrictions à la location. Peuvent-ils, soit l’interdire, soit l’aménager, et plus souvent se demandent-ils s’ils peuvent au moins interdire la location à court terme, cette activité ayant souvent pour effet de commercialiser un immeuble, dont la destination initiale était pourtant «résidentielle».
Le 24 septembre 2001, dans une décision unanime, Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10,400 Boul. L’Acadie [1], la cour d’appel du Québec répondait à cette question par l’affirmative, pourvu que l’immeuble ait une destination résidentielle, et ce, même en l’absence de disposition explicite dans la déclaration. Le syndicat de copropriété peut donc, par règlement, restreindre la location à des locations d’au moins une année. La cour d’appel décidait également que le syndicat ne peut cependant empêcher un copropriétaire corporatif de détenir plus d’un certain nombre d’unités ou obliger un copropriétaire à ne louer qu’aux membres de sa famille immédiate.
En première instance, devant l’Honorable juge Jeannine M. Rousseau, de la cour supérieure [2], les faits étaient les suivants. Il s’agissait d’un immeuble, d’abord construit en 1977 comme immeuble locatif, puis converti en copropriété de 132 unités en 1982. Monsieur Kilzi, copropriétaire (ainsi qu’une compagnie qu’il contrôlait et d’autres membres de sa famille immédiate), avait acquis, au fil des ans, huit (8) unités de copropriété, et, à l’exception de celle qu’il habitait, en faisait la location au public en général, ce qui avait amené le conseil d’administration, suite à des plaintes de copropriétaires, à adopter un règlement plutôt restrictif.
Le règlement comportait trois types de restrictions: Il interdisait la location pour un terme inférieur à une année. Il interdisait aussi, dans le cas d’une compagnie, la location à des personnes autres que ses administrateurs ou son actionnaire majoritaire. Finalement, il prévoyait également que dès qu’un même copropriétaire (directement ou indirectement) possédait plus de trois (3) unités, les autres ne pouvaient être louées à des personnes autres que des membres de sa famille immédiate.
L’Honorable juge Rousseau, de la cour supérieure, rejeta toutes les prétentions du copropriétaire Kilzi, maintenant les prétentions du syndicat et le règlement dans son ensemble. Si la cour d’appel a accueilli l’appel en partie, quant aux prohibitions de louer contenues au règlement en litige, elle a maintenu, et c’est ici ce qui est important, la légalité du règlement quant à la possibilité de restreindre la location à des périodes d’au moins une année.
Les deux décisions sont intéressantes, quant à l’interprétation des concepts de destination, caractères et situation de l’immeuble, mentionnés à l’article 1056 C.c.Q. Voyons d’abord la décision de l’Honorable juge Rousseau, rendue en 1998.
L’Honorable juge Rousseau fait une étude intéressante de la notion de destination de l’immeuble en copropriété divise, tenant compte de faits pertinents pour en venir à la conclusion que dans un immeuble de luxe, l’interdiction de location à court terme est justifiée. Elle parle de la multiplication d’emménagements et de déménagements causée par de telles locations, elle relate de l’ensemble de la preuve, les faits reliés au désir par les copropriétaires de conserver la quiétude, le calme et la qualité de la vie dans un milieu stable, avec des voisins propriétaires [3]. L’Honorable Jeannine Rousseau prend également en considération le désir de la part des copropriétaires de maintenir la valeur de leur investissement.
Quant au concept de «destination», l’Honorable juge Rousseau, à l’aide d’exemples puisés dans l’ancien Code, sur les immeubles par destination et le sens du mot «destination», en vient à la conclusion qu’il s’agit d’un concept substantiel et fondamental [4].
Elle mentionne que la notion de destination est si importante que dès le début de l’institution en 1969, l’unanimité est d’abord exigée et ce, jusqu’au 1er janvier 1994, date d’adoption du nouveau Code. Elle ajoute que la conformité avec la destination de l’immeuble paraît comme une valeur si importante qu’elle justifie une restriction au droit de la propriété lui-même; d’ailleurs, l’article 1063 C.c.Q. prévoit la possibilité du copropriétaire de disposer de sa fraction, d’en user et d’en jouir librement, pourvu qu’il ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble.
L’Honorable juge Rousseau parle également des notions de «caractères» et de «situation», mentionnant que le concept de situation est plutôt lié à quelque chose de géographique, de concret [5].
La question posée est évidemment de savoir si le règlement interdisant la location des fractions à court terme change la destination de l’immeuble, auquel cas, un tel règlement aurait dû être adopté à l’unanimité des voix, conformément à l’ancien Code.
En analysant l’ensemble des dispositions de la déclaration, partant de l’établissement de la copropriété, l’usage des parties exclusives (unités de logement), et de certaines autres dispositions concernant l’occupation, l’Honorable Rousseau en vient à la conclusion que la vocation absolument résidentielle de la copropriété fait en sorte que des restrictions à la location des fractions ne constituent point un changement de destination: «Les restrictions qu’établit le règlement attaqué ne changent pas cette réalité; au contraire, certaines des dispositions du règlement, celles qui interdisent la location de moins de 12 mois, renforcent la destination de l’immeuble, i.e. l’habitation résidentielle, la résidence impliquant une certaine permanence; de façon générale, on est de passage dans une ville, à l’hôtel, à un centre de villégiature, chez des amis, chez des parents; au contraire, on réside ou on demeure dans une maison, un logement, un appartement; permanence et séjour indéfini vs brièveté et séjour temporaire» [6].
Le copropriétaire Kilzi plaidait également l’aspect discriminatoire du règlement, ajoutant qu’il aurait été préparé spécialement et sur mesure pour lui, étant le seul copropriétaire de plusieurs unités résidentielles dans l’immeuble. Le règlement étant une restriction portant une atteinte grave à son droit de propriété, il était contraire à la déclaration et par voie de conséquence, nul.
Quant à l’application de l’article 1103 C.c.Q., sur la partialité et la discrimination, l’Honorable Rousseau en vient à la conclusion que la preuve ne révèle aucune forme de partialité. Même si ce sont les activités locatives du copropriétaire qui ont suscité l’adoption du règlement, il n’est pas partial ni discriminatoire, et n’a pas été adopté au mépris des droits des copropriétaires. Ce qu’il y a d’intéressant ici, et le même énoncé sera repris par la cour d’appel, c’est que le fait qu’un règlement ait été adopté pour contrer une situation qui s’applique à un seul copropriétaire, n’est pas, en soi, discriminatoire.
Traitant finalement de l’article 947 C.c.Q., sur le droit du propriétaire de jouir librement de son bien, et de l’article 1102 C.c.Q., rendant sans effet toute décision du syndicat qui impose au copropriétaire une modification à la destination de sa partie privative ou à l’usage qu’il peut en faire, l’Honorable juge Rousseau rejette toutes les prétentions du copropriétaire à cet égard. Elle mentionne que le règlement ne modifie pas cet usage: La location est encore permise, elle n’est que restreinte. Soulignant qu’il est évident que la copropriété divise d’un immeuble entraîne inévitablement des limites et des aménagements à l’exercice des droits, et ce, sans même qu’il y ait besoin de textes, elle justifie les restrictions, dans ce cas précis: «Compte tenu de l’historique de l’immeuble, de la réalité de la répartition de l’occupation de l’immeuble entre propriétaires et non propriétaires, et des indications dans la déclaration de copropriété;» [7]. On constate donc que l’Honorable juge Rousseau prend en considération non seulement l’ensemble de la déclaration de copropriété, les caractères et la situation de l’immeuble, faits objectifs, mais également, aspects subjectifs, l’historique de l’immeuble et l’intention des copropriétaires dans les faits. Au risque de reprendre la définition que certains trouvent trop simple, ne s’agit-il pas ici d’une étude du «genre d’immeuble voulu par les copropriétaires» [8].
C’est ce à quoi la cour d’appel conclut, dans un jugement rendu le 24 septembre dernier. En effet, suite à un appel déposé par le copropriétaire Kilzi, la cour d’appel, après avoir entendu les parties en mai 2001, rejetait les prétentions du copropriétaire dans un jugement unanime et fort important en matière de copropriété.
Fait à noter cependant, l’article 5, prévoyant l’interdiction de la part d’un copropriétaire qui serait une compagnie, de louer à des personnes autres que ses administrateurs ou son actionnaire majoritaire, et l’article 6, prohibant la location à des personnes autres que des membres de sa famille immédiate, quant à tout copropriétaire qui serait propriétaire de plus de trois (3) unités, sont déclarés invalides, car non conformes à la destination de l’immeuble.
A l’exception donc, de cette partie du règlement, jugée non conforme à la destination de l’immeuble, le reste est maintenu en vigueur, et les locations pour des termes inférieurs à une année demeurent donc interdites.
Pourtant, selon la cour d’appel, analysant la déclaration, «en principe rien ne s’oppose au droit du copropriétaire de louer sa fraction. Comme tout propriétaire, il peut en user et en jouir librement (1063 C.c.Q.).» De plus, ajoute la cour: L’acte constitutif de copropriété (la déclaration) réfère explicitement à la location et ne l’interdit pas. Cependant, «il faut dire que le règlement visé n’interdit pas toute location». La cour distingue entre la prohibition pure et simple et l’imposition de restrictions.
Se demandant comment définir le concept de «destination de l’immeuble», la cour d’appel constate deux courants de pensée qui s’opposent, l’un, restrictif, à l’effet que la destination doit se retrouver, de façon purement objective, à la lecture de la déclaration, et l’autre, plus libéral, à l’effet que la notion regroupe un ensemble d’éléments, dont la déclaration, ainsi que certaines composantes subjectives, dont les considérations ayant motivé les acheteurs à acquérir une fraction.
C’est cette dernière interprétation qui avait été retenue par la juge Rousseau, en cour supérieure. Son jugement est maintenu à cet égard par la cour d’appel, qui retient la notion «élargie» de la destination de l’immeuble. On doit donc prendre en considération, dans la question de savoir si un règlement ou une disposition quelconque de la déclaration contrevient ou modifie la «destination de l’immeuble», non seulement les textes mêmes, mais également toutes les circonstances concernant les caractères et la situation de l’immeuble, ce qui inclut les motifs pour lesquels les copropriétaires ont acheté leur unité, ces critères devant être analysés pour l’ensemble des copropriétaires et de la copropriété.
Parce que la destination de l’immeuble a toujours été «uniquement» résidentielle, «à des fins d’habitation», le règlement interdisant les locations à court terme est maintenu. Parce que l’article 5 du règlement a pour effet de nier le droit à la location pour une compagnie, plutôt que d’en régir l’exercice, il est déclaré invalide. L’article 6, limitant le nombre d’unités qu’une personne peut posséder pour location, ne peut être justifié, pour les mêmes raisons: On nie le droit à la location, plutôt que d’en fixer les modalités.
Conclusion
On peut conclure ce qui suit de l’affaire Kilzi:
La notion de destination de l’immeuble ne se limite pas à la simple lecture de la déclaration de copropriété. Elle inclut les caractéristiques physiques et la situation de l’immeuble, de même que l’ensemble des conditions aux vues desquelles un copropriétaire a acheté sa fraction. On pourrait la résumer à «l’immeuble voulu par les copropriétaires».
L’adoption d’une telle restriction (interdiction des locations de moins d’une année), pour une copropriété dont la destination initiale est «résidentielle», uniquement «à des fins d’habitation», ne constitue pas une modification de la destination, et elle ne requiert donc pas l’unanimité (ce qui est le cas de beaucoup de déclarations pré-1994), ni la double majorité de l’art. 1098.1 C.c.Q., non plus l’approbation du copropriétaire affecté (1102 C.c.Q.).
On ne peut «interdire» la location d’une unité détenue en copropriété, sous prétexte qu’il s’agirait d’une unité purement et exclusivement résidentielle.
La location peut être restreinte par règlement, et ce, même si aucune disposition de la déclaration ne semble le permettre.
Nous sommes fort heureux que la cour d’appel ait maintenu, pour l’essentiel, les principes dégagés par l’honorable juge Rousseau, en première instance, quant à la notion de destination de l’immeuble, «élargie», et la confirmation de la possibilité de restreindre la location, dans certaines circonstances.
L’affaire Kilzi touche, indirectement, une autre question délicate en droit de la copropriété, à savoir les restrictions au droit de disposer, par exemple dans les cas fréquents d’unités de stationnement, détenues par des personnes qui ne sont pas copropriétaires. Cette question fera l’objet d’un autre article, à venir.
----------------------------------
[1] Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 Boulevard L’Acadie 500-09-007009-988; Cour d’appel du Québec, décision du 24 septembre 2001.
[2] Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 Boulevard L’Acadie, [1998] R.J.Q. 2393 (C.S.).
[3] Id., p. 2400.
[4] Id., p. 2403.
[5] Id., p. 2404.
[6] Id., p. 2405.
[7] Id, p. 2407.
[8] GAGNON, Christine, La copropriété divise, Éd. Yvon Blais Inc., Cowansville, 2000, p. 114, note 152.