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Saint-Laurent, Québec

 

LA DÉCLARATION DE COPROPRIÉTÉ: UN DOCUMENT À NE PAS PRENDRE À LA LÉGÈRE

Me Yves Joli-Cœur, LL.L. et Me Pierre-G. Champagne, LL.M. (de Grandpré Joli-Cœur)


 

L’affaire Syndicat des copropriétaires du Bief des Seigneurs Tour D et al c. Klein (Cour supérieure, 29 octobre 2003)(1: La Cour supérieure ordonne le démantèlement complet d’un plancher de bois franc.

 

L’objet du recours

Cette affaire vient confirmer - si besoin en était - que la déclaration de copropriété n’est pas un document à «garder sur les tablettes». Les copropriétaires ont tout intérêt à bien prendre connaissance de ce document et à s’assurer de ne pas contrevenir à ses dispositions. Dans cette cause, le syndicat des copropriétaires cherche à obtenir l’émission d’une ordonnance d’injonction permanente en vue de forcer un copropriétaire à démanteler le plancher de bois franc qu’il avait fait installer dans sa partie privative en contravention de la déclaration de copropriété.

 

Les faits

Le copropriétaire fait installer un plancher de bois dans sa partie privative, sans avoir au préalable soumis ses plans pour approbation au syndicat des copropriétaires. Or, les articles 18 et 20 de la déclaration de copropriété sont clairs. En effet, l’article 18 oblige le copropriétaire qui désire apporter des modifications à sa partie privative à obtenir au préalable l’approbation du syndicat, tandis que l’article 20 de cette même déclaration s’adresse directement au cas des planchers. Ce dernier article comporte des exigences spécifiques au cas où un copropriétaire désirerait apporter des changements à ses planchers. Or, le plancher de bois qui a été installé dans l’unité du copropriétaire ne répond nullement aux exigences de l’article 20 de la déclaration de copropriété.

 

Lors de l’audition de la preuve, le copropriétaire allègue qu’il a suivi les indications du concierge et celles de la gérante par intérim du syndicat. D’après le copropriétaire, ces indications constituaient une autorisation implicite du syndicat, puisqu’aucune objection claire n’avait été formulée lors de l’installation. Le syndicat, d’autre part, a mis en preuve que la gérante du syndicat avait bel et bien mentionné à l’installateur lors des travaux qu’une clause particulière dans la déclaration de copropriété traitait de la pose des planchers.


Le litige prend réellement naissance plusieurs mois plus tard lorsque l’occupant de l’unité située en dessous de celle du copropriétaire susmentionné se plaint formellement au syndicat des bruits qui proviennent de l’unité située au-dessus de la sienne.

 

Le droit

a) Les prétentions des parties

Le copropriétaire prétend qu’en permettant que les travaux se poursuivent jusqu’à leur terme, le syndicat a acquiescé tacitement au remplacement des planchers. Le syndicat avait le temps d’agir en temps opportun au lieu d’attendre plus de deux ans pour prendre une position claire.


De plus, le temps écoulé entre la fin des travaux, la connaissance de ceux-ci par le syndicat et le recours intenté - soit une période de deux ans et quatre mois - devrait être interprété en faveur du copropriétaire et lui valoir comme accord tacite donné par le syndicat. Quant au recours de l’article 1080 C.c.Q., il est excessif et un simple manque de prudence de sa part ne devrait pas donner ouverture à ce recours.

 

Quant au syndicat, il allègue que le copropriétaire connaissait ou aurait dû connaître la déclaration de copropriété. D’ailleurs, il a été mis en preuve que l’existence d’une disposition particulière régissant l’installation de planchers avait été portée à la connaissance de l’installateur. Le copropriétaire a donc manqué de prudence en omettant de contacter les membres du conseil d’administration du syndicat des copropriétaires pour en avoir le cœur net. Il a décidé, malgré les indications d’un empêchement possible, de faire continuer les travaux.

 

b) La jurisprudence

Il est intéressant de noter que la juge Grenier réitère le raisonnement de la Cour d’appel dans l’arrêt Amselem c. Syndicat Northcrest(2), quant au recours à l’injonction prévu à l'article 1080 C.c.Q. Pour ce faire, la juge Grenier affirme que le recours en vertu de l’article 1080 C.c.Q. est ouvert contre tout copropriétaire récalcitrant, que le deuxième alinéa de cet article, sans limiter la teneur du premier alinéa, ajoute un recours additionnel plus sérieux, soit la vente de la fraction en cas de transgression à l’injonction. De plus, dans le cas présent, l’allocation de dommages et intérêts ne pourrait remédier à la situation, le recours applicable est donc bien l’injonction prévue à 1080 C.c.Q.

 

La décision de la Cour

a) Réflexions
En accueillant la requête en injonction permanente du syndicat, la Cour supérieure vient de réitérer les décisions prises par la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec en matière de copropriété. Ces décisions ont toujours été dans le même sens, c’est-à-dire dans le sens du respect indéfectible des prescriptions de la déclaration de copropriété. Il semble que tant et aussi longtemps qu’une prescription de la déclaration de copropriété est jugée raisonnable pour le confort et la jouissance paisible des lieux de tous les copropriétaires, celle-ci est contraignante à l’égard de tous sans aucune exception. Les tribunaux québécois n’ont pas donné suite aux divers motifs apportés par des copropriétaires récalcitrants recherchant l’exemption à leur égard de l’application de certaines dispositions contenues dans la déclaration de copropriété. Les tribunaux québécois, en ce sens, persistent et signent: la déclaration de copropriété – à moins de dispositions abusives, dont la preuve incombe au copropriétaire délinquant – doit s’appliquer à tous uniformément et en toute équité.

 

b) Les causes à venir
Nous espérons que les causes à venir sauront maintenir le cap sur une application ferme des dispositions de la déclaration de copropriété. Cette tendance permettra de maintenir un des principes sacrés en droit de la propriété, soit celui de la jouissance paisible des lieux. Il convient de réitérer ici le caractère presque «communautaire» de la vie en copropriété. Pour préserver l’harmonie dans un tel cadre, nul doute que des règlements sont requis, et nul doute que ces règlements doivent être appliqués sans égard aux caprices de certains copropriétaires. Nous sommes d’avis qu’uniquement les dispositions jugées abusives doivent trouver exception à leur application, mais nous entrons alors dans un autre débat…

 

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1- Syndicat des copropriétaires du Bief des Seigneurs, Tour «D» et al c. Klein, C.S. 500-05074157-023, 29 octobre 2003, juge Danielle Grenier)

2- [1998] R.J.Q. 1892. Cette cause a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, elle devrait être entendue le 19 janvier 2004.

 

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CondoLiaison, volume 5, numéro 1