LA LOCATION: PEUT-ON LA RESTREINDRE ?
Me. Pierre-G. Champagne, LL.M., avocat
Dans beaucoup d’immeubles, dont les déclarations de copropriété ne contiennent aucune disposition précise à cet égard, les administrateurs se demandent s’ils ont le droit d’imposer des restrictions à la location. Peuvent-ils, soit l’interdire, soit l’aménager, et plus souvent se demandent-ils s’ils peuvent au moins interdire la location à court terme, cette activité ayant souvent pour effet de commercialiser un immeuble, dont la destination initiale était pourtant «résidentielle».
Le 24 septembre 2001, dans une décision unanime, Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10,400 Boul. L’Acadie(1), la cour d’appel du Québec répondait à cette question par l’affirmative, pourvu que l’immeuble ait une destination résidentielle, et ce, même en l’absence de disposition explicite dans la déclaration.
La cour d’appel maintient donc, pour l’essentiel, la décision rendue en 1998
par l’Honorable juge Jeannine M. Rousseau, de la cour supérieure(2).
La question posée est évidemment de savoir si le règlement interdisant la location des fractions à court terme change la destination de l’immeuble, auquel cas, un tel règlement aurait dû être adopté à l’unanimité des voix, conformément à l’ancien Code. (Avant 1994. Aujourd’hui, la double majorité est requise - Art.1098 C.c.Q.).
Les faits étaient les suivants. Il s’agissait d’un immeuble locatif, converti en copropriété de 132 unités en 1982. Monsieur Kilzi, copropriétaire (ainsi qu’une compagnie qu’il contrôlait et d’autres membres de sa famille immédiate), avait acquis, au fil des ans, huit unités de copropriété, et, à l’exception de celle qu’il habitait, en faisait la location au public en général, ce qui avait amené le conseil d’administration, suite à des plaintes de copropriétaires, à adopter un règlement plutôt restrictif.
Le règlement comportait trois types de restrictions: Il interdisait la location pour un terme inférieur à une année. Il interdisait aussi, dans le cas d’une compagnie, la location à des personnes autres que ses administrateurs ou son actionnaire majoritaire. Finalement, il prévoyait également que dès qu’un même copropriétaire possédait plus de trois (3) unités, les autres ne pouvaient être louées à des personnes autres que des membres de sa famille immédiate.
L’Honorable juge Rousseau fait une étude intéressante de la notion de destination de l’immeuble en copropriété divise, tenant compte de faits pertinents pour en venir à la conclusion que dans un immeuble de luxe, l’interdiction de location à court terme est justifiée. Elle parle de la multiplication d’emménagements et de déménagements causée par de telles locations, elle relate les faits reliés au désir par les copropriétaires de conserver la quiétude, le calme et la qualité de la vie dans un milieu stable, avec des voisins propriétaires. L’Honorable Jeannine Rousseau prend également en considération le désir de la part des copropriétaires de maintenir la valeur de leur investissement.
Elle mentionne que la notion de destination est si importante que dès le début de l’institution en 1969, l’unanimité fut d’abord exigée et ce, jusqu’au 1er janvier 1994, date d’adoption du nouveau Code.
L’Honorable Rousseau en vient à la conclusion que la vocation absolument
résidentielle de la copropriété fait en sorte que des restrictions à la
location des fractions ne constituent point un changement de destination:
«Les restrictions qu’établit le règlement attaqué ne changent pas cette
réalité; au contraire, certaines des dispositions du règlement, celles qui
interdisent la location de moins de 12 mois, renforcent la destination de
l’immeuble, i.e. l’habitation résidentielle, la résidence impliquant une
certaine permanence.»
Soulignant qu’il est évident que la copropriété divise d’un immeuble entraîne inévitablement des limites et des aménagements à l’exercice des droits, et ce, sans même qu’il y ait besoin de textes, elle justifie les restrictions, dans ce cas précis, en tenant compte de l’historique de l’immeuble, de la répartition entre les propriétaires et les non propriétaires, et des indications dans la déclaration de copropriété.
Après avoir entendu les parties en mai 2001, la cour d’appel, unanimement, rejetait les prétentions du copropriétaire quant au règlement prévoyant l’obligation de louer pour des périodes d’au moins une année. Fait à noter cependant, l’article 5, prévoyant l’interdiction de la part d’un copropriétaire qui serait une compagnie, de louer à des personnes autres que ses administrateurs ou son actionnaire majoritaire, et l’article 6, prohibant la location à des personnes autres que des membres de sa famille immédiate, quant à tout copropriétaire qui serait propriétaire de plus de trois unités, sont déclarés invalides, car non conformes à la destination de l’immeuble.
La cour distingue entre la prohibition pure et simple et l'imposition de restrictions, validant ces dernières.
Quant au concept de «destination de l’immeuble», la cour d’appel constate
deux courants de pensée qui s’opposent, l’un, restrictif, à l’effet que la
destination doit se retrouver, de façon purement objective, à la lecture de
la déclaration, et l’autre, plus libéral, qu’elle retient, à l’effet que la
notion regroupe un ensemble d’éléments, dont la déclaration, ainsi que
certaines composantes subjectives, dont les considérations ayant motivé les
acheteurs à acquérir une fraction.
Parce que la destination de l’immeuble a toujours été «uniquement» résidentielle, «à des fins d’habitation», le règlement interdisant les locations à court terme est maintenu. Parce que les articles 5 et 6 du règlement ont pour effet de nier le droit à la location, plutôt que d’en régir l’exercice, ils sont déclarés invalides.
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1 Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 Boulevard L’Acadie 500-09-007009-988; Cour d’appel du Québec, décision du 24 septembre 2001.
2 Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 Boulevard L’Acadie, [1998] R.J.Q. 2393 (C.S.).
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CondoLiaison, volume2, numéro 2