GESTION PARALLÈLE: C’EST NON !
EST-CE QUE LES COPROPRIÉTAIRES PEUVENT TOUT VOIR? TOUT SAVOIR? TOUT AVOIR?
(Article tiré et adapté du Bulletin de LA COPROPRIÉTÉ PLUS AU QUÉBEC, août 2008)
Deux importants jugements concernant le droit des copropriétaires d’avoir accès à tous les livres comptables du syndicat, à toutes les factures et toutes les pièces justificatives viennent d’être rendus, l’un à la Cour supérieure de la Colombie britannique et l’autre à la Cour supérieure du Québec.
Les syndicats sauront maintenant quoi répondre à ces copropriétaires très insistants qui, ne réussissant pas à se faire élire au conseil, veulent quand même gérer le syndicat.
En Colombie britannique
Dans la première cause, un copropriétaire de Vancouver a demandé à la Cour supérieure une injonction pour enjoindre le syndicat à lui remettre tous les documents comptables et autres en sa possession et de tout mettre en œuvre pour reconstruire toutes les informations qui ont été perdues ou détruites par accident ou autrement. (Peter Kayne c. The owners, Strata Plan LMS 2374; Docket S072740, Vancouver; Honorable Justice Smith, 26 juillet 2008).
Ce copropriétaire semble, à la lecture du jugement, être l’un de ces copropriétaires très insistants, jamais heureux et toujours soupçonneux. Il a porté plainte contre le syndicat à la Commission des droits de la personne, deux fois, et a mis le syndicat en demeure plusieurs fois pour toutes sortes de raisons.
Cette fois, il veut voir les livres; tous les livres. Les livres de comptabilité entre autres…
Il veut chaque morceau de papier, chaque chèque, chaque bordereau de dépôt, et chaque reçu ayant gravité autour de la confection du grand livre dans lequel on retrouve les états de compte de chaque copropriétaire. Il veut que chaque procès-verbal du conseil d’administration indique absolument tout ce qui s’est dit, ou aurait du être dit; il veut une copie de tous les courriels échangés entre les membres du conseil…
Peu importe les efforts du conseil d’administration, le copropriétaire n’était pas satisfait, car il ne recevait pas ce qu’il voulait trouver.
Il refusait de reconnaître que les documents désirés n’existaient pas. Il soupçonnait une «magouille» au conseil où jamais il n’a réussi à se faire élire; il prétendait qu’on lui cachait des choses. Bref, le monsieur n’était pas heureux: d’où la requête en injonction devant la cour.
Le Juge de la Cour supérieure de Colombie britannique qui, comme beaucoup d’autres, semble être doué d’une patience d’ange, a analysé avec soin les éléments de la demande (et jugé): pourvu que le procès-verbal reflète les décisions du conseil, il répond à la loi. C’est le conseil qui décide de sa forme et de son fond.
Une réunion informelle d’administration n’a pas à être consignée dans un procès-verbal si aucune décision n’est prise.
La production du grand livre (états financiers) répond parfaitement aux exigences de la loi et le copropriétaire doit s’en contenter. Autrement, il n’a qu’à se faire élire au conseil; il aura alors accès à tous les documents publics et privés concernant la copropriété.
En conclusion, oui les copropriétaires peuvent avoir accès à tous les documents pertinents à l’administration d’une copropriété, mais non, ils ne peuvent avoir accès à tous les documents qui ont servi à établir le document final déposé au registre du syndicat. Spécialement les documents financiers.
Au Québec
Dans la deuxième cause, trois copropriétaires (du Québec) ont demandé à la Cour supérieure d’obliger le syndicat à mettre à leur disposition une quantité importante de documents, incluant ceux ayant trait aux états financiers (Lucie Fortier et Nicole Veillette et Saruon Khauv c. Syndicat des Copropriétaires Condominium les Châtelets; 200-17-006146-054, Mai 2008, Godbout, B., J.C.S.).
Comme ce fut le cas dans la cause de Vancouver, ces copropriétaires voulaient obtenir toutes les pièces justificatives (reçus, factures, copies de chèques reçus et faits, etc.) ayant permis au comptable agréé du syndicat de faire son travail.
Cette cause, dans plusieurs de ses aspects, ressemble à celle de Vancouver. Les deux d’ailleurs arrivent à la même conclusion: un copropriétaire non membre du conseil d’administration ne peut prétendre faire de la gestion parallèle.
Il ne peut avoir accès aux outils et instruments ayant servi à établir les états financiers du syndicat. La loi dit seulement: «préparez un bilan, un état des résultats et un état des dettes et créances». C’est tout. Pourvu que ces trois choses soient déposées au registre, le syndicat a satisfait à la loi et les copropriétaires doivent s’en contenter.
Mais pourquoi donc cette question a-t-elle abouti devant la Cour supérieure? Parce que nous avons des copropriétaires qui n’acceptent pas d’être à l’écart du conseil et qui voudraient tout de même gérer les affaires du syndicat.
Les trois demandeurs dans cette cause ont une vision très activiste de leur rôle de copropriétaires. Ils ne sont pas les seuls et ils ne sont surtout pas les pires. Les copropriétaires difficiles, par leurs gestes et actions, drainent les énergies des bénévoles au service du syndicat et des autres copropriétaires, et coûtent des fortunes au syndicat.
Dans cette cause, tout le débat tourne autour de l’interprétation du dernier petit bout de phrase de l'article 1070 du Code civil du Québec que la cour a repris dans sa décision et qui se lit comme suit:
«Le syndicat tient à la disposition des copropriétaires un registre contenant le nom et l’adresse de chaque copropriétaire et de chaque locataire, les procès-verbaux des assemblées des copropriétaires et du conseil d’administration, ainsi que les états financiers. Il tient aussi à leur disposition la Déclaration de copropriété, les copies de contrats auxquels il est partie, une copie du plan cadastral, les plans et devis de l’immeuble bâti, le cas échéant, et tous autres documents relatifs à l’immeuble et au syndicat.»
C’est ce petit bout de phrase en gras et souligné qui pose problème. L’honorable juge n'a pas eu la tâche facile, car c’était la première fois, en droit québécois, que cette question était posée et la doctrine est très discrète sur le sujet.
Mais il semble bien avoir compris le cœur du problème en ce qui concerne les états financiers et les documents à mettre à la disposition des copropriétaires en tant que tiers au Syndicat.
Comme dans le cas de Vancouver, les trois copropriétaires (demandeurs) voulaient «tout voir et tout avoir» des affaires financières du syndicat. Jusqu’à la moindre facture et le moindre chèque.
Comme dans le cas de Vancouver, le juge de la Cour supérieure a dit non! Rien dans la loi ne dit cela et la cour ne peut endosser les gestions parallèles à celle du conseil d’administration.
Le juge a décrété que «les livres de comptabilité sont davantage des outils de gestion pour le conseil d’administration que des documents relatifs à l’immeuble au sens de l’article 1070 C.c.Q.».
Et ces «outils de gestion» mis à la disposition du conseil pour accomplir sa tâche ne regardent pas les copropriétaires. Ces sont les résultats (les états financiers dans cette cause) qui sont à la disposition des copropriétaires; rien d’autre.
Ce jugement (non porté en appel) est d’une importance capitale pour tous les syndicats aux prises avec des gérants parallèles.
Les livres de comptabilité n’appartiennent pas aux copropriétaires; uniquement au conseil d’administration.
Notez que ces livres de comptabilité n’appartiennent pas aux individus qui siègent au conseil, mais bien au conseil d’administration. Nuance importante, car le contenu des documents est sous le scellé de la confidentialité. Si un membre du conseil s’échappait à ce sujet, il serait à risque de payer les dommages.