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Saint-Laurent, Québec

 

COPROPRIÉTÉ EN FRANCE: 40 ANS ET PAS ENCORE MÛRE

(Article tiré de lesiteimmobilier.com)


 

Le 11ème Salon de la copropriété a ouvert ses portes ce 5 octobre (2005), braquant une fois de plus le projecteur sur ce mode de propriété collective bien français. Seuls quelques pays voisins nous ont emprunté sa construction juridique. Modèle réduit de démocratie directe, il est régi par une loi de 1965, autrement dit d'il y a 40 ans! Certes, 18 petits et grands remaniements en ont quelque peu changé (et compliqué) la nature, mais globalement le principe de fonctionnement a plutôt bien résisté. Aucun des trois projets de refonte n'a abouti, notamment du fait des alternances politiques successives. Aujourd'hui, dans un contexte de montée de l'individualisme et de difficultés économiques, il n'est pas sûr que ce mode préserve de la dégradation et de la paupérisation les quelques 250 000 immeubles ou ensembles immobiliers en copropriété.

 

En apparence tout va bien

C'est ce qui ressort en tous cas du récent sondage IPSOS Loiselet & Daigremont: 82% des français se sentent bien dans leur immeuble! Il est vrai que les réponses n'émanaient qu'à 49% de résidents d'immeubles en copropriété et que les locataires faisaient aussi partie de l'échantillon.

 

Lorsqu'on creuse un peu, le tableau devient cependant plus contrasté: peu de copropriétaires s'exprimant spontanément déclarent qu'il n'y a pas de problème dans sa copropriété. Près de la moitié attribue les problèmes aux autres copropriétaires, ceux qui font des impayés, forment des clans antagonistes, rendent les assemblées houleuses, ou créent des nuisances et des incivilités.

 

Seul un sur quatre trouve que l'entretien du ou des immeubles est excellent. La moitié des copropriétaires reconnaissent que les travaux importants sont réalisés mais que les immeubles ont vieilli. Un sur quatre considère que le patrimoine perd de la valeur, voire se dégrade.

 

Pourtant une grande majorité de ceux qui ont répondu ont le sentiment d'avoir leur mot à dire, d'être écoutés ou de faire partie des principaux inspirateurs de la copropriété. Seul un sur six pense que quoi qu'il dise ou fasse, cela ne change rien.

 

Un collectivisme subi, rarement souhaité

En réalité la copropriété repose sur un grand malentendu. L'acquéreur en copropriété s'intéresse en premier lieu à l'appartement qu'il achète et en second lieu seulement aux parties communes, leur qualité ou leur agrément. Il s’intéresse assez peu aux responsabilités qui découlent de la propriété. Il pense devenir plein propriétaire d'un bien alors qu'il n'acquiert qu'une part d'une collectivité avec un droit d'usage sur une partie privative. Il ne le découvre bien souvent que lorsqu'il doit demander des autorisations pour les aménagements qui touchent à l'immeuble, ou quand il est sollicité pour en assurer la conservation, éponger les conséquences d'une gestion approximative ou les manquements des autres copropriétaires.

 

Autre malentendu, les copropriétaires sont plus "solidaires" qu'ils ne le croient, ou qu'on le leur fait croire. D'où la mauvaise humeur permanente qui caractérise la plupart du temps les copropriétaires dans leurs relations avec le syndic ou les autres copropriétaires. Ce serait moins le cas si l'acte d'entrée dans une collectivité était plus conscient. Les acquéreurs pourraient, par exemple, acheter des parts d'une société d'attribution. Il s'agit d'une société civile propriétaire de l'immeuble, dont les parts confèrent un droit de jouissance exclusive sur un ou plusieurs locaux privatifs. Devenant ainsi associés plutôt que "copropriétaires", ils réaliseraient d'emblée la responsabilité endossée quant à la gestion et la valorisation du patrimoine commun.

 

De nombreuses copropriétés ont été créées dans les années 60 et 70 en SCI d'attribution et même en sociétés anonymes (SAI), mais la plupart ont été transformées en copropriétés classiques. Le législateur a, avec la loi du 10 juillet 1965, pris une autre option, celle de la pleine propriété, avec deux articles qui ont alimenté des décennies de jurisprudence:

  • l'article 9 selon lequel "chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot" et qu' "il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble",

  • l'article 8 selon lequel "le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation".

(Ces deux articles sont le pendant de l'article 1063 du Code civil du Québec)

 

Ce semblant de pleine propriété sur les lots privatifs a permis le financement de l'accession par le crédit hypothécaire et flatté le goût des français pour la propriété privée.

 

Les nouvelles dispositions visent à concilier l'individualisme du copropriétaire (et la protection de ses droits face à la collectivité) avec l'intérêt général et la possibilité pour la collectivité d'imposer aux copropriétaires les conséquences de décisions prises démocratiquement. Délicat équilibre que le législateur a tenté d’ajuster à l’aide de trois grandes réformes en 1985, 1994 et 2000: une pour mieux défendre les copropriétaires face à des syndics alors tout puissants, et deux pour redonner des droits à la collectivité. Il en résulte un statut dont la complexité de mise en œuvre encourage les contournements. Le seul recours, notamment contre des décisions d'assemblées prises en violation des règles légales, est alors l'action en justice, devant le tribunal de grande instance, et donc avec avocat obligatoire.

 

L'autre problème est que ce statut s'applique uniformément de la maison de ville avec deux ou trois logements aux ensembles de centaines, voire de milliers d'appartements, véritables villes avec voiries, espaces verts, centres commerciaux, équipements sportifs et de loisirs, etc.

 

Un statut inadapté à certaines tailles de copropriété

Trop lourde quand il s'agit de régler les relations entre quelques propriétaires, l'organisation prescrite par la loi de 1965 semble être largement inappliquée dans un grand nombre de très petites copropriétés, souvent sans gestion, syndic ou même assurance. À l'autre extrême, cette même organisation tatillonne est aussi inadaptée aux très grosses copropriétés en les mettant, par excès de formalisme et de contraintes, à la merci du moindre copropriétaire mal intentionné, sans les protéger des risques financiers. Pourtant certains copropriétaires, conseillers syndicaux ou syndics bénévoles, gèrent encore, sans aucune obligation de contrôle et de garantie, des budgets de plusieurs millions d'euros par an.

 

Une fracture qui se creuse
En quarante ans, la société a changé. Avec la construction de grands ensembles et le développement de l'accession sociale, les copropriétés ne sont plus les aimables clubs de propriétaires des immeubles bourgeois des années 50! Au consensus des débuts, permis par une relative homogénéité sociale des copropriétaires, a vite succédé une situation plus contrastée. Sont apparues des tensions entre deux populations de plus en plus déconnectées. D'un côté le petit groupe des copropriétaires "responsables", souvent présents de longue date, jaloux de leurs prérogatives et devenus progressivement co-gestionnaires de l’ensemble immobilier aux côtés de syndics professionnels aux pouvoirs de plus en plus limités. De l'autre, des copropriétaires de passage, "consommateurs" non actifs des prestations collectives, mais peu intéressés par le long terme et rétifs à la dépense.

 

Le défi de l'entretien et le besoin de sécurité de gestion

C'est sur ce terrain que les évolutions récentes de la législation, avec notamment les nouvelles contraintes de gestion imposées par la loi "SRU" et ses décrets d'application produiront, ou non, les effets attendus: un assainissement des comptes des syndicats de copropriétaires, une meilleure sécurité de gestion, des prises de décision plus rigoureuses, et un encouragement à mieux planifier et provisionner les travaux nécessités par la conservation du bâti et de ses équipements. Ces mesures interviennent  dans un contexte où le besoin de sécurité et de protection ont multiplié les diagnostics, contrôles techniques et mises aux normes obligatoires: amiante, plomb dans les peintures et canalisations, ascenseurs, sécurité électrique et gaz, et bientôt - pourquoi pas - air intérieur, résistance au risque sismique, etc.

 

D'ores et déjà, les copropriétés ne peuvent plus être considérées globalement comme mieux entretenues que l'immobilier locatif, ni même qu'une bonne partie du parc social. Le nombre de copropriétés dégradées augmente. Dans certaines, en quasi-faillite, les copropriétaires d'origine ont pu à temps tirer leur épingle du jeu. Ils sont remplacés par des "marchands de sommeil" intéressés par le seul rendement locatif à court terme.

De telles copropriétés constituent un défi de plus en plus majeur pour les pouvoirs publics. La vieille loi (française) de 1965 ne manquera pas d'être encore remaniée!

 

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